Nicolas Titeux

Ingénieur du son | Sound designer
Compositeur

Fabriquer un instrument virtuel : un guide du sampling

par | Août 31, 2020

Les compositeurs de musique de film ont accès aujourd’hui à des milliers d’instruments virtuels, proposés par des centaines d’éditeurs différents. L’offre est immense et adaptée à la plupart des styles musicaux. Cependant, elle peut paraitre bien pauvre comparée à l’infinie diversité d’instruments de musique acoustiques qui existe dans le monde. C’est pourquoi j’ai souvent été amené à fabriquer mes propres instruments virtuels pour reproduire le son d’instruments anciens, rares ou tout simplement uniques.

Dans cet article, je vais détailler une méthode pour échantillonner un instrument de musique acoustique. N’oubliez pas que le sampling peut nécessiter énormément de temps. C’est pourquoi je vous conseille de débuter par un instrument simple comme une percussion (évitez le coup d’essai avec un orgue d’église et ses 54 jeux !)

guide de l'échantillonage

Étape 1 : Préparer l’enregistrement

 

Avant toute chose, il est important de définir ses objectifs : Quel instrument vais-je sampler ? Pour quel usage ? Dans quel lieu ? De combien de temps est-ce que je dispose ? Est-il nécessaire d’employer un musicien ?

 

Combien enregistrer de samples ?

 

Pour plus de réalisme, il faut prévoir d’enregistrer une même note avec plusieurs niveaux de vélocité. Sur un piano par exemple, le timbre d’une note évolue selon la force avec laquelle on presse la touche. Le son d’une note jouée pianissimo n’a pas du tout le même timbre qu’une note jouée forte.

Les instruments virtuels de qualité possèdent plusieurs de niveaux de vélocité par note et parfois plusieurs sons différents joués de manière séquentielle ou aléatoire pour une même vélocité. Ce procédé, appelé round robin, ajoute beaucoup de réalisme. Il permet d’éviter l’effet « mitraillette » quand un son est répété plusieurs fois à l’identique.

Pour connaitre le nombre de samples total à enregistrer, on peut utiliser la formule : nombre de notes × nombre de couches de vélocité × nombre de round robin. Plus on enregistre de samples, meilleur sera le résultat, mais plus long sera le travail d’enregistrement, de nettoyage et de programmation, il faut donc trouver un compromis en fonction du temps dont on dispose et du résultat qu’on vise. Pour débuter, je conseille environ 5 niveaux de vélocité et deux couches de round robin.

Pour cet article, je vais prendre l’exemple d’un componium que j’ai samplé récemment. Cet instrument appartient à la famille des boites à musique et utilise une bande perforée au lieu d’un rouleau. Il peut donc jouer autant de morceaux que l’on souhaite. C’est un instrument à vibration libre (dont le son n’est pas entretenu) et qui comporte 30 notes différentes. L’intérêt de sampler cet instrument est de s’affranchir de la préparation très longue et fastidieuse des rouleaux de musique (programmation, impression, découpe et perçage des cartons).

 

Componium

Sur cet instrument, chaque note à son caractère et ses petites imperfections. Certaines notes résonnent plus que d’autres, l’accord n’est pas toujours parfait, etc. J’ai choisi de conserver ce caractère vivant de l’instrument et donc d’enregistrer chaque note trois fois, pour avoir trois couches de round robin. En revanche les sons de cet instrument sont déclenchées mécaniquement, toujours avec la même force. Il n’est donc pas utile d’enregistrer plusieurs couches de vélocité, ce qui simplifie grandement le travail. J’ai donc un total de 30 x 3 soit 90 notes à enregistrer.

Étape 2 : Enregistrer les samples

 

Avant toute chose, je conseille d’établir une check-list de samples sous la forme d’un tableau à double entrée pour se prémunir d’éventuels oublis. Il suffit de cocher chaque bonne prise au fur et à mesure de l’enregistrement. Voici un exemple avec 6 couches de vélocité, de pianissimo à fortissimo et deux couches de round robin.

sampling recording check-list

Le choix des micros

 

On peut utiliser plusieurs micros pour avoir des possibilités de mixage à l’intérieur même de l’instrument virtuel. Avec des fichiers stereo, on peut soit réaliser une prise de son stéréo de type AB ou XY, soit utiliser un micro proche et un distant, soit encore utiliser un micro acoustique et un micro de contact.

Pour mon componium, j’ai choisi cette dernière option, j’ai décidé de l’enregistrer en mono avec un micro Brauner et d’ajouter un micro de contact pour obtenir plus de fréquences basses et medium. Cela donne plus de « rondeur » au son un peu métalique de la boite à musique. Dans l’instrument virtuel final, je pourrai librement doser les deux micros pour affiner le son. Je pourrai également spatialiser les notes pour recréer un effet de stéréo.

Ensuite, j’installe mes micros comme pour une prise de son instrumentale classique. Je ne rentrerai pas dans les détails de la prise de son car il existe de très nombreux articles et livres sur le sujet. Il faut toutefois noter que la qualité de l’enregistrement est extrêmement importante, encore plus que pour une prise de son musicale « standard ». Les échantillons doivent avoir le moins de bruit de fond possible. En effet quand on joue plusieurs notes simultanément dans le sampler, plusieurs échantillons sont déclenchés, et leur bruit de fond s’additionne. C’est d’autant plus perceptible que les sons durent longtemps (comme c’est le cas ici).

Je privilégie un enregistreur multipiste portable type Sound Devices et je travaille dans un studio sans aucun autre appareil allumé. J’élimine ainsi les sons parasites, si faibles soient-ils, d’ordinateur, de ventilation, de transformateurs, etc.

Il faut aussi être particulièrement attentifs aux bruits de notre corps (respiration notamment) car nous y sommes habitués et on risque de ne pas les détecter pendant la prise.

Je procède ensuite à l’enregistrement minutieux de chaque sample suivant la liste. Il faut bien surveiller le sustain de chaque note, et recommencer la prise en cas de bruit parasite. En général, j’enregistre une prise supplémentaire pour chaque niveau de vélocité par sécurité.

L’enregistrement des échantillons est la phase la plus importante, car c’est elle qui détermine le son de l’instrument virtuel. Le maitre-mot dans cette étape est la patience. L’enregistrement peut durer longtemps, il ne faut pas hésiter à faire des pauses ou à l’étaler sur plusieurs jours.

Étape 3 : L’édition

 

Une fois l’enregistrement terminé, il faut découper, nettoyer et renommer chaque échantillon sonore.

Pour la découpe des samples, j’utilise la station audionumérique Protools, mais il est possible de faire la même chose avec Cubase, Live, Logic Pro, etc.

La découpe doit être précise, en particulier à l’attaque du son. Si on laisse un petit silence au début de l’échantillon, même de quelques millisecondes, cela va induire une latence dans l’instrument virtuel final. Il faut également veiller à faire un fondu de fin assez long pour ne pas entendre de clic ou de rupture soudaine du bruit de fond.

Il faut ensuite nommer chaque échantillon en incluant le nom de la note, qui pourra être reconnu automatiquement dans certains samplers. Le nom de la note doit être celui de la notation américaine : C, D, E, F, G, A, B suivi éventuellement d’un #. Le sampler EXS24 de Logic ne reconnait pas le signe b pour bémol. Préférez donc A# à Bb. Ajoutez le numéro correspondant à l’octave, par exemple C#4.

En général, lorsque mes samples sont découpés et nommés, je les exporte pour les nettoyer dans Izotope RX. Ce logiciel permet de réduire un éventuel bruit de fond et de supprimer manuellement des petits bruits parasites. Il m’arrive parfois de faire une première passe des prises de sons brutes dans Izotope RX avant même la découpe, pour appliquer un réducteur de bruit de fond comme le Spectral Denoiser

Protools sampling edition

Étape 4 : La programmation

 

Cette étape est surement la plus excitante car c’est à ce moment que l’instrument virtuel commence à prendre vie. 

On importe tous les sons dans un sampler comme Kontakt ou EXS24 de Logic. Il existe plusieurs manières d’importer ses sons. EXS24 permet par exemple de détecter la hauteur d’après le nom de la note. Il faut ensuite vérifier à l’aide d’un clavier midi que la note jouée correspond bien à la note entendue.

Il faut ensuite attribuer à chaque note sa plage de vélocité, c’est à dire à quelle vitesse de frappe du clavier MIDI le sample correspond. Il a y 128 niveaux de vélocité en MIDI, de 0 à 127. 0 correspond à la vélocité la plus basse (la touche est enfoncée très lentement) et 127 à la vitesse la plus rapide (on tape sur la touche). Si on a 6 niveaux de vélocité, on doit répartir les niveaux de 0 à 127. Par exemple :

– 0 à 19 : pp

– 20 à 39 : p

– 40 à 59 : mp

– 60 à 79 : mf

– 80 à 99 : f

– 100 à 127 : ff

 

On réparti ensuite chaque son dans un groupe correspondant à sa couche de round robin. Cette étape est un peu longue à détailler, voici donc un mode d’emploi en vidéo.

 

Étape 5 : Le « fine-tuning »

 

Quand tout est programmé, on peut commencer à tester l’instrument et procéder à quelques ajustements comme le volume et l’accordage d’un échantillon. On homogénéise ainsi le son global de l’instrument, à l’oreille, un peu comme un accordeur de piano. Voici quelques paramètres à vérifier :

– L’absence de trous (absence de samples pour une note ou une plage de vélocité donnée).

– L’absence de redondances (plusieurs samples qui se déclenchent lorsqu’une seule touche est pressée).

– La bonne répartition des couches de vélocité.

– L’homogénéité de volume sonore entre les différentes notes (pas de notes trop fortes ou trop faible à vélocité égale). Pour ça, on peut programmer une séquence chromatique car ce paramètre est difficile à vérifier avec un clavier. Attention tout de même à respecter le son de l’instrument d’origine.

– L’accord (qui peut avoir légèrement changé au cours des différentes prises).

– L’enchainement des couches de round robin.

– L’enveloppe du son et le bouclage pour les samples non-percussifs.

 

Pour finir, voici une petite improvisation avec l’instrument virtuel final:

Pour toute question ou si vous avez besoin d’un instrument virtuel personnalisé, vous pouvez me contacter sur la page contact.

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